Le travail le dimanche

{Par Marion KAHN-GUERRA, Avocat Spécialiste en Droit Social
et Emilie de GOYS, Avocat
Association d’avocats BMS’- Paris
[->www.bms-avocats.com]}

{{{1. Un bref rappel des règles applicables au secteur commercial en France}}}
{{a) Le principe du repos hebdomadaire et dominical}}
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_ Un employeur ne peut pas faire travailler un salarié plus de six jours par semaine. En outre, le repos hebdomadaire doit en principe être obligatoirement donné le dimanche.
_ Ce principe connaît cependant plusieurs dérogations permanentes ou temporaires strictement encadrées par le Code du travail.
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_ {{b) Dérogations permanentes}}
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_ Certains secteurs d’activité, énumérés de manière exhaustive par le Code du travail, sont autorisés de plein droit à faire travailler leurs salariés le dimanche. A titre d’exemple, il s’agit des hôtels, cafés, restaurants, des débits de tabac, des magasins de fleurs naturelles.
_ La loi du 3 janvier 2008 sur le développement de la concurrence au service des consommateurs vient d’y ajouter les établissements de commerce de détail d’ameublement.
_ L’autorisation est en principe accordée pour la totalité de la journée, à l’exception toutefois des établissements de vente de denrées alimentaires au détail qui ne sont autorisés à faire travailler des salariés que jusqu’à midi.
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_ {{c) Dérogations temporaires}}
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_ Les autres commerces peuvent obtenir, selon le cas du préfet ou du maire, une autorisation temporaire de faire travailler leurs salariés le dimanche.
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Dérogations accordées par le maire :
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_ Un maire (ou le préfet à Paris) peut autoriser, par arrêté, les établissements de commerce de détail d’une même branche d’activité à ouvrir jusqu’à 5 dimanches par an après avis des organisations d’employeurs et de salariés intéressées.
_ L’octroi de cette dérogation n’exige aucune justification de la part de l’entreprise, elle constitue une simple faculté pour le maire.
_ Chaque salarié concerné doit bénéficier d’un repos compensateur d’une durée équivalente un autre jour de la semaine et être payé le double d’une journée de travail normale. S’il s’agit d’heures supplémentaires, il aura également droit aux majorations et repos compensateur pour heures supplémentaires.
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Dérogations accordées par le préfet :
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_ Le préfet peut, pour une durée limitée, autoriser un établissement à donner le repos hebdomadaire par roulement un autre jour que le dimanche dans deux cas :
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_ • s’il est établi que le repos simultané de tout le personnel le dimanche est préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l’établissement.
_ Le préfet est tenu de solliciter l’avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et de l’industrie et des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés de la commune.
_ A ce titre, le préfet des Bouches-du-Rhône avait accordé en juillet 2007 des dérogations d’ouverture dominicale aux commerces de Plan-de-Campagne, zone commerciale située entre Marseille et Aix-en-Provence, pour une durée de onze mois. Le tribunal administratif de Marseille vient cependant de les annuler par une décision du 25 janvier 2008. Les commerçants ont fait appel de cette décision.
_ Cette dérogation peut être étendue aux établissements de la même localité faisant le même genre d’affaires, s’adressant à la même clientèle, et compris dans la même classe de patente.
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_ • si l’établissement est situé dans une commune touristique ou thermale ou dans une zone touristique d’affluence exceptionnelle ou dans une zone d’animation culturelle permanente (lesquelles sont déterminées par arrêté préfectoral, sur proposition du conseil municipal) et a pour activité la vente au détail de biens ou de services destinés à faciliter l’accueil du public ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel.
_ A titre d’exemple, la société Louis Vuitton avait obtenu en décembre 2005 une dérogation préfectorale l’autorisant à ouvrir son magasin des Champs Elysées le dimanche, au motif que les Champs Elysées sont classés en zone touristique et que le magasin présente une dimension culturelle. Si le Tribunal administratif de Paris avait annulé cette dérogation en mai 2006, la Cour administrative d’appel de Paris a autorisé l’ouverture le dimanche en raison du caractère culturel du magasin. L’affaire est actuellement pendante devant le Conseil d’Etat saisi le 12 juillet 2007 par la CFTC.
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_ {{d) Quelles sont les sanctions auxquelles s’expose l’employeur qui ne respecte pas la règle du repos dominical ?}}
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Sanctions civiles :
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_ • Fermeture de l’établissement
L’inspecteur du travail, un syndicat de salariés ou un syndicat d’employeurs peuvent saisir en référé le Président du Tribunal de Grande Instance pour voir ordonner toutes les mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l’emploi illicite de salariés en infraction avec la règle du repos dominical.
_ Le Président du Tribunal de Grande Instance peut ordonner la fermeture le dimanche des établissements concernés avec astreinte au profit du Trésor.
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_ • Condamnation à des dommages et intérêts
L’employeur s’expose à une action des salariés illégalement privés de leur repos dominical en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
_ L’employeur peut également être condamné à verser des dommages et intérêts à un syndicat d’employeurs ou de salariés en raison de l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession.
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Sanction pénale :
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_ Faire travailler des salariés le dimanche sans y être expressément autorisé expose l’employeur à une contravention de 5ème classe, soit 1.500 euros au maximum, appliquée autant de fois qu’il y a de personnes illégalement employées.
_ Ces montants sont doublés en cas de récidive dans le délai d’un an et multipliés par cinq si c’est la société qui est poursuivie pénalement.
L’accord du personnel pour travailler le dimanche en méconnaissance de la loi n’est pas de nature à faire disparaître l’infraction.
{{{2. Existe-t-il une directive européenne en matière de travail le dimanche ?}}}
Il n’existe aucun texte communautaire, règlement ou directive, actuellement en vigueur réglementant directement ou indirectement l’ouverture du commerce le dimanche et, à notre connaissance, aucun projet de texte n’est envisagé. En effet, si la législation européenne fixe les durées journalières et hebdomadaires maximales de travail, elle laisse à chaque Etat membre le soin d’organiser la répartition du travail entre les jours de la semaine, en fonction de ses spécificités historiques, culturelles et religieuses.
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_ Ainsi, à titre d’exemple, la Suède ne dispose d’aucune réglementation restrictive en matière de travail le dimanche.
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_ Au contraire, en Allemagne, la loi rend obligatoire la fermeture des commerces de détail le dimanche et laisse le soin à chaque Land d’aménager les exceptions et les dérogations.
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_ En Angleterre et au Pays de Galles, les petits commerces ne disposent d’aucune restriction tandis que les magasins dont la superficie dépasse 280 m² ne peuvent ouvrir le dimanche qu’entre 10 heures et 18 heures.
{{{3. Quelles sont les évolutions envisagées ?}}}
Le gouvernement envisage d’élargir les possibilités du travail le dimanche dans son projet de loi sur « la modernisation de l’économie » qui sera présenté au printemps 2008.
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_ A cet effet, Nicolas Sarkozy a chargé la commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali (dite « commission Attali ») d’étudier une évolution possible en la matière. Parallèlement, le Conseil économique et social a rendu début janvier 2008 un avis sur « Les mutations de la société et les activités dominicales ».
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_ {{a) Rapport de la commission Attali}}
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_ Dans son rapport remis le 23 janvier 2008 à Nicolas Sarkozy, la commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali a proposé de simplifier et d’adapter les dispositions du droit du travail pour élargir la possibilité du travail dominical .
_ La commission a toutefois posé les réserves suivantes à une autorisation plus large du travail le dimanche :
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_ • La possibilité de travailler le dimanche doit être proposée prioritairement à certains métiers, certaines régions, certaines catégories de salariés à temps partiel qui souhaiteraient pouvoir augmenter leur temps de travail.
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_ • Elle doit être proposée en priorité aux petits commerces de centre-ville avant de l’être aux grandes surfaces.
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_ • Les entreprises devront se concerter avec les instances représentatives du personnel sur les modalités d’organisation.
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_ • Les salariés qui acceptent de travailler le dimanche devront pouvoir bénéficier de réelles contreparties (salaires, formation, couverture sociale complémentaire, points de retraite).
_ L’accent a donc été mis sur la concertation avec les instances représentatives du personnel. Qu’en sera-t-il dans les entreprises, majoritaires en France, qui ne disposent pas de représentant du personnel ? L’employeur pourra-t-il déterminer unilatéralement les modalités d’organisation ?
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_ {{b) Propositions du Conseil économique et social}}
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_ Dans la continuité de sa réflexion entamée en février 2007 sur le travail du dimanche , le Conseil économique et social a publié, le 7 janvier 2008, une étude sur « Les mutations de la société et les activités dominicales ».
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_ Le Conseil économique et social recommande de maintenir le principe du repos dominical et de ne plus accorder de nouvelle dérogation de plein droit.
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_ Il propose les pistes de réflexion suivantes :
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_ • autoriser l’ouverture des commerces de détail alimentaire jusqu’à 13 heures (et non plus midi) pour tenir compte des rythmes de vie actuels ;
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_ • étendre l’autorisation d’ouverture le dimanche pour les commerces situés en zones ou communes touristiques à l’ensemble des commerces et prévoir une actualisation de la délimitation des zones et périodes touristiques ;
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_ • permettre aux commerces de choisir les cinq dimanches d’ouverture (augmenté de trois dimanches complémentaires) après consultation des partenaires sociaux, notamment au niveau des compensations salariales ;
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_ • respecter le volontariat des salariés ;
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_ • aménager le dispositif des autorisations individuelles accordées par le préfet qui se traduirait par une concertation territoriale élargie, le respect du libre choix du salarié, la prise en compte de l’intérêt manifeste du consommateur, une durée d’autorisation comprise entre 3 et 5 ans, le choix d’un périmètre d’analyse et d’autorisation des demandes de dérogations correspondant à un territoire pertinent, administratif et/ou économique.
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_ Les sondages d’opinion qui sont régulièrement effectués sur la question de l’ouverture des commerces le dimanche montrent que si le français « consommateur » y est favorable à 53%, le français « salarié » reste lui largement opposé, à 65%, au travail le dimanche, estimant que « ce serait la perte d’un moment important pour la vie familiale et sociale » .
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_ Le rapport Attali et les propositions du Conseil économique et social sont les reflets de cette réticence qui demeure profonde. Il est donc peu probable que, malgré la volonté de changement affichée, la législation française sur le travail le dimanche et l’ouverture des commerces soit radicalement modifiée.